Albiera et Allegra Antinori

Albiera Antinori: C'est une jolie pensée: AAA. Mais non, il y a tout de même dix ans d'écart entre ma plus jeune sœur Alessia et moi. Mes parents auraient donc dû réfléchir très longtemps à l'avance à nos prénoms. Un triple A aurait plutôt du sens pour des triplés. (rires)

Wein-Plus: Comment votre père vit-il le fait d'avoir un domaine viticole de renommée mondiale, mais pas d'héritier masculin direct?

Albiera Antinori: L'époque où mon père pouvait se plaindre de ne pas avoir de successeur masculin est révolue. Il l'espérait, mais ne s'y attendait pas. Au fond, il peut s'estimer heureux que ses trois filles aient occupé des postes clés dans l'entreprise. Il n'y avait pas non plus tant d'enfants que ça pour avoir le choix. Mais blague à part, mon père a toujours le dernier mot dans de nombreux domaines, parce qu'il a tout simplement le plus d'expérience.

Vignobles de Tenuta Tignanello (photo: Antinori)

Wein-PlusMalgré tout, la transmission du pouvoir à la gent féminine est scellée. Elles sont vice-présidentes d'Antinori, Allegra supervise les initiatives gastronomiques de la maison de vins et Alessia dirige la maison de vins mousseux Franciacorta, propriété de la famille. C'est par chance ou par hasard que chacune d'entre vous a trouvé le domaine de ses rêves?

Allegra Antinori: Clairement de la chance. Nous avons toutes nos préférences. J'aime le marketing et les voyages. Sans oublier la cuisine italienne. Tout cela se combine par exemple dans le concept "La Cantinetta Antinori" dont je m'occupe. Il s'agit de quatre osterie à Florence, Zurich, Vienne (Autriche) et Moscou, qui réunit des spécialités italiennes simples avec la gamme moyenne de nos vins.

Wein-PlusQuels sont les vins qui conviennent à ce concept gastronomique?

Allegra Antinori: Par exemple le Pèppoli 2010. Avec son style légèrement acide, il représente la version fruitée du Chianti Classico. Un sangiovese à 90 pour cent (dix pour cent de merlot), dont la fraîcheur et le fruité s'accordent parfaitement avec la cuisine italienne mince et simple. Trop de couleur, trop d'arômes seraient totalement déplacés. Et je trouve que le rapport qualité-prix, avec environ 16 euros à la consommation finale, est également correct.

Villa Fonte de Medici à San Casciano Val di Pesa (photo: Antinori)

Wein-Plus: Quelle est la différence entre la collaboration, disons, avec des restaurateurs populaires et celle avec le milieu de la restauration haut de gamme?

Allegra Antinori: On a plus de liberté. Dans le monde de la haute gastronomie, il y a des maîtres de cuisine très particuliers. Sur leurs cartes des vins, on attend certaines choses, même si les vins haut de gamme à plusieurs centaines ou milliers d'euros servent plutôt de macaron et sont rarement commandés. Dans la gastronomie étoilée aussi, le client se tourne de plus en plus vers le milieu de gamme pour le choix des vins. Notre concept d'osteria est très terre à terre et attrayant pour ceux qui souhaitent avoir de temps en temps du terroir toscan abordable dans leur assiette et leur verre.

Wein-PlusLa situation politique et économique en Italie n'est pas forcément la plus détendue. Dans ce climat difficile, comment peut-on encore mettre en avant les vins d'Antinori en plus de tels concepts?

Albiera Antinori: Tout d'abord, la situation politique: nous traversons en effet une énorme crise économique et structurelle. Prodi et Berlusconi n'ont jamais agi dans l'intérêt du pays. Toute l'équipe du palais gouvernemental est vieillissante. Les ministres ne doivent rester en fonction que quelques mois et touchent une grosse pension pour le reste de leur vie. Nous avons besoin d'un vent nouveau, d'un changement radical. Un espoir serait par exemple le modéré de gauche Mattheo Renzo, maire actuel de Florence. Notre pays a tellement de potentiel, une culture très marquée. Nous avons besoin de visions. Et la prochaine génération doit faire du bon travail si l'on veut que ces visions se concrétisent.

Cave à barriques (photo: E. Dülligen)

Wein-PlusUne vision qui est déjà devenue réalité se trouve non loin d'ici, à San Casciano Val di Pesa, en bref: près de Florence.

Albiera Antinori: Ou plus exactement: dans notre Nuova Cantina Antinori. Elle a été inaugurée il y a un an, après sept ans de prouesses architecturales. Elle se compose de matériaux tels que le carrelage, le bois, l'acier Corten et le verre, avec pour objectif de préserver au maximum l'environnement et de respecter le paysage toscan.

Wein-PlusLa nouvelle cave est déjà considérée comme un cas unique en Italie. Outre ses attraits visuels et ses aspects écologiques, qu'est-ce qui la rend encore unique en Italie?

Albiera Antinori: On pourrait qualifier l'ensemble d'expérience œnogastronomique. Nous montrons aux visiteurs de près ce qui se cache derrière les vins Antinori - de l'auditorium, où sont notamment projetés des films sur notre production de vin, au restaurant de la cave, où les résultats peuvent être dégustés avec une cuisine régionale au milieu du paysage toscan, à l'intérieur ou à l'extérieur. Entre les deux, un musée d'art d'avant-garde et d'art ancien, des salles de dégustation, des chais à barriques et une boutique de vins.

Auditorium dans la nouvelle cave (photo: Antinori)

Wein-Plus: Parmi tous les succès de votre histoire de plus de 600 ans, y a-t-il aussi des échecs dans l'actuelle 26e génération de viticulteurs? Comment se porte le sangiovese dans vos vignobles californiens?

Albiera Antinori: Il faut le demander à notre manager du domaine Tenuta Tignanello. L'autre jour, il a si bien résumé la comparaison entre les vignobles du Chianti et ceux de la Napa Valley.

Wein-PlusMonsieur Carpaneto, prenez le relais.

Stefano Carpaneto: La Californie est difficile. Le sangiovese n'y a pas connu un grand succès. Il n'a tout simplement pas les mêmes conditions qu'ici, il devient très sombre, mais il manque finalement de caractère, il devient trop sucré. Notre sangiovese californien manque d'équilibre.

Stefano Carpaneto (photo: E. Dülligen)

Wein-Plus: À quoi cela tient-il exactement?

Stefano Carpaneto: Tout d'abord au fait que la Californie a des sols trop riches. Le sangiovese est une sorte de diva comme le nebbiolo, il a besoin d'un sol pauvre et sec. Le climat doit également être sec, et il faut des différences de température jour-nuit perceptibles. La Napa Valley a cela aussi, mais - et c'est là un critère décisif - la lumière y est différente. L'intensité est différente. Ici, nous avons un niveau d'UV très élevé, surtout en juillet et en août. Le cabernet sauvignon fonctionne mieux sur le sol californien. Dans le Chianti, le cabernet se "sangiovese", c'est-à-dire qu'il prend des traits du sangiovese grâce au climat et au sol.

Wein-PlusQu 'est-ce qui profite encore au cépage classique du Chianti Classico?

Stefano Carpaneto: Dans le vignoble de la cave "Tenuta Tignanello", par exemple, le sangiovese bénéficie de pierres blanches spéciales que nous avons soulevées sous les sols avec des bulldozers pour conserver la chaleur pendant les printemps plus frais, anticiper la maturité et l'amener ainsi à sa pleine maturité. Ensuite, l'excellente exposition au sud. Et le travail en cave - pour ne citer qu'un aspect - inclut l'égrappage manuel. Ainsi, nous voyons quand les raisins sont encore verts à l'intérieur et nous les trions. Le résultat est un incroyable équilibre de la peau du raisin, les raisins ne sont ni trop boisés ni trop tanniques, ils ont au contraire une belle minéralité.

Paysage viticole automnal en Toscane (photo: E. Dülligen)

Wein-PlusMadame Antinori, loin de la Californie et du Chianti, la Chine est sur toutes les lèvres des viticulteurs en tant que marché d'exportation très convoité. Votre entreprise l'a-t-elle déjà découvert pour elle-même?

Albiera Antinori: La Chine est un grand marché et en même temps un trou noir. Tout ce qui y va disparaît. Ce n'est pas un pays producteur de vin traditionnel. Les habitudes et les pratiques d'importation et la manière de consommer le vin sont complètement différentes par rapport au reste du monde. Le marché de la consommation de vin est loin d'être transparent. Bien que la vitesse de croissance de la consommation en Chine soit actuellement la plus élevée au monde, les voies par lesquelles le vin y est vendu restent souvent obscures. Outre les canaux traditionnels que sont les magasins spécialisés, Internet, les hôtels ou les restaurants, une grande quantité de vin est destinée au Parti populaire et aux grands groupes.

Wein-Plus: Est-ce que vous livrez déjà en Chine?

Albiera Antinori: Nous étions à l'Expo de Hong Kong cette année. Nous y avons notamment gagné un client chinois, un entrepreneur qui trouvait sa société de 60.000 employés petite. Au début, il voulait 10.000 bouteilles. Nous lui avons dit que nous ne pouvions pas livrer 10.000 bouteilles à cause des contingents attribués. Il a répondu: "Je paie à l'avance". Nous lui avons répondu que cela ne ferait aucune différence. Bien sûr, la Chine, avec ses millions de consommateurs, est une place commerciale passionnante pour Antinori. Nous y participerons à nouveau à l'Expo en 2014.

Vue extérieure de la Nuova Cantina Antinori (Photo: Antinori)

Wein-PlusAvant cela, nous nous rendons au salon ProWein. Au salon du vin de Düsseldorf, vous tiendrez un stand avec Primum Familiae Vini, une association d'intérêts de douze domaines viticoles, dont font notamment partie Torres, Vega Sicilia, Egon Müller-Scharzhof et Pol Roger. Quelles sont les perspectives?

Albiera Antinori: Petite correction: nous sommes actuellement onze membres, "Ocean's Eleven" en quelque sorte. (rires) Mondavi n'en fait plus partie depuis 2004, c'est-à-dire depuis son rachat par Constellation Brands, car le PFV ne prévoit que des entreprises familiales. Les signes pour ProWein sont bons. Nous avons déjà eu un super écho à Hong Kong grâce à ce concept marketing.

Wein-PlusQu 'est-ce qui rend ce concept attractif?

Albiera Antinori: Le mélange. Des domaines familiaux de renommée mondiale, qui produisent différents styles de vin issus des meilleures régions viticoles du monde, se présentent sur un même stand. Tout cela s'est développé, ce n'est pas sorti d'un chapeau. Depuis des années, nous nous rencontrons toujours chez un autre membre du PFV et discutons ensuite de manière détendue de thèmes liés au vin. Nous avons tous plus ou moins les mêmes problèmes et sommes fortement liés les uns aux autres, nous avons les mêmes distributeurs dans le monde entier. Ces rencontres donnent naturellement naissance à des idées, comme la participation commune à des salons.

Cave à fûts (photo: Antinori)

Wein-PlusComment la femme d'affaires Albiera Antinori se remet-elle du stress quotidien?

Albiera Antinori: En fait, on peut difficilement séparer mon travail du plaisir. Il est difficile de ne pas tomber amoureux de la viticulture. Mais parfois, on ne se rend pas compte à quel point on est dans l'ivresse. Et le risque de ramener le travail à la maison, dans la famille, est grand. Pour recharger mes batteries, je vais aussi souvent que possible dans ma deuxième maison en Bulgarie. Là-bas, j'ai un "phone doctor" qui prend les appels et qui me couvre.

Wein-PlusVous êtes également passionnée d'équitation et éleveuse de chevaux. Cela peut aussi être très contemplatif...

Albiera Antinori: Oui, Allegra et moi sommes des passionnées de chevaux. J'ai toutefois abandonné l'élevage de chevaux à sang chaud, c'est devenu trop coûteux. A la place, j'élève maintenant une race de porc spéciale. Pour un jambon très spécial. La cuisine est aussi quelque chose qui apporte beaucoup de détente dans la vie.

Wein-PlusNous vous remercions pour cet entretien.

Albiera% Piero% Allegra et Alessia Antinori dans la nouvelle cave à barriques (Photo: Antinori)

Faits concernant Antinori

Cette maison de négoce de vin vieille d'environ 600 ans est l'une des plus réputées au monde en Toscane, si ce n'est en Italie. Depuis son rachat en 1966, le marquis Piero Antinori a massivement contribué au changement d'image des vins toscans. Il a fait venir les meilleurs œnologues et des vignes françaises sur ses domaines, a remis en culture des vignobles en friche, a initié de nouvelles méthodes de vinification et a instrumentalisé ses talents de marketing sophistiqués. C'est ainsi qu'il a dépoussiéré la bouteille de Chianti typique, ventrale et entourée de raphia, jusque dans les années 1970, en commercialisant les premiers super-toscans. Contre la loi italienne en vigueur sur le vin, il a utilisé des cépages comme le cabernet sauvignon, le merlot et la syrah pour son vin rouge Tignanello et l'a élevé en chêne français - également contre la tradition en vigueur. Ses filles poursuivent l'esprit pionnier du vieux maître avec des projets comme la cave de pointe "Nuova Cantina Antinori" ou le concept d'osteria.

Le domaine Antinori Marchesi dans le guide des vins